NON A L'EXTRADITION ! MORATOIRE
WWW.CESAREBATTISTI.NET
La vérité sur Cesare Battisti
Textes et documents rassemblés par Fred Vargas,
Acheter en ligne le livre (FNAC) 7 €
Les bénéfices pour la défense de Cesare et des réfugiés italiens
Cesare Battisti face au chantage 7 €
par le comité de soutien lyonnais
BELLACIAO 20 0CTOBRE
Après l'appel en cassation le 29 septembre 2004
La pétition de la Ligue des Droits de l'Homme
Signez nombreux en ligne/ to sign up online!
English/explanations | Contact | Oeuvre littéraire de Battisti
Acheter en ligne les ouvrages de Battisti / Buy online the Battisti's works
@ Fr FNAC | Foreign amazon.com
Le soutien du site Mauvais Genre
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
Ce que les medias ne disent pas, par Wu Ming1
Cesare Battisti Faq, par Valerio Evangelisti
JE N'ACCEPTE PAS QUE CESARE BATTISTI
SOIT REMIS AUX AUTORITES ITALIENNES
par Carlo Roccella
De nombreux français et italiens de France se mobilisent pour que l'ancien militant révolutionnaire ne soit pas extradé : ce ne sont pas des "complices du terrorisme", des "anciens combattants" ou des ingénus romantiques. On agit, on vote aussi, quand on nous le permet.
Comme eux, je suis un citoyen engagé pour un meilleur aujourd'hui,
persuadé que les raisons de mon opposition à cet acte nous concernent tous.
On connaît mal, dans la France des clichés bienveillants, la réalité de
l'Italie des années durant lesquelles ont eu lieu les événements qui sont
reprochés à Cesare.
On parle de corruption, mais on n'imagine pas un pouvoir qui dispose à sa
guise d'un pays de 5O millions d'habitants comme Jacques Médecin à disposé
de Nice.
On parle de Mafia, mais on est loin du Parrain. Imagine-t-on un réseau
qui, de village en ville, d'élu local en député, de financier en magistrat,
contrôle la totalité des appels d'offres et des financements publics pendant
cinquante ans ?
Ou encore, on parle de répression, mais sait-on ce que c'est, dans un pays
que le rituel du vote permet d'appeler démocratique, une police et une armée
qui ont ensanglanté les rues et les places où les jeunes et les travailleurs
cherchaient à crier leur faim de justice ?
Enfin, on parle de terrorisme, mais que vous disent ces noms, ces dates,
ces chiffres, ces bombes : 12 décembre '69 Piazza Fontana 16 morts, 88
blessés ; 2 juillet '70 train Freccia del Sud 9 morts 139 blessés ; 25
septembre '70 assassinat de cinq anarchistes calabrais ; 28 mai '74 Piazza
della Loggia Brescia 8morts 94 blessés; 4 août '74 train Italicus 12 morts
105 blessés; 2 août '80 gare de Bologna 85 morts 200 blessés, bombes
explosées toujours pendant des périodes de forte mobilisations populaire.
Sans compter les dizaines de jeunes militants tués par les fascistes et la
police pendant les manifestations, du Nord au Sud.
Je ne veux pas renvoyer dos à dos les morts des uns et les morts des
autres ; laissons les martyrs aux généraux et aux prédicateurs. Les victimes
du régime démocrate chrétien et de ses alliés ne justifient sans doute pas
le développement d'un contre-feu armé et clandestin, mais elles aident sans
doute à le comprendre.
Ce dernier, par ailleurs, ne fut pas le fait d'un groupe d'activistes
isolés. Il naissait, il baignait dans un fort mouvement social, riche
d'utopie et de révolte créatrice : non pas une avant-garde Quartier Latin,
mais un vaste carnaval de l'esprit où les jeunes ouvriers, les chômeurs, les
étudiants, les féministes, par centaines de milliers ont construit, pendant
dix années le seul rayon d'espoir qu'il ait été donné de vivre pendant ces
années plombées par l'arrogance du pouvoir.
C'est notre histoire, l'histoire d'une génération qui, entre
contradictions et illusions, verbiages révolutionnaires et désespoir a fini
par accoucher, entre autres choses, de l'impasse politique et morale qu'a
été la lutte armée. Mais c'est aussi l'histoire d'une génération qui a dit
"non" et qui a cherché sa dignité jusque dans les coins obscurs où l'on ne
se reconnaît plus soi-même.
Aujourd'hui Berlusconi exige l'extradition des militants que la France
accueille depuis 20 ans. Le renvoi expéditif de Paolo Persichetti montre à
quel point l'ordre nouveau de Sarkozy et compagnie est prêt à rendre service
au pouvoir italien.
Pourquoi cet empressement, et pourquoi aujourd'hui ?
Cerné par les juges pour une longue série de malversations qui lui ont
permis d'atteindre le pouvoir, craignant que les prochaines échéances
électorales lui fassent payer comme ailleurs le prix du néolibéralisme
effréné, menacé sur sa droite (ça existe !) par son allié ex-fasciste Fini,
Berlusconi cherche un nouveau souffle.
Rien de mieux que le terrorisme pour cela : ça fait l'unanimité et ça
cloue le bec à la gauche, déjà bien timide. Encore mieux, pour éviter les
déconvenues d'un terrorisme récent (ça fait des taches et ça peut déraper),
il vaut mieux aller chercher des histoires anciennes et leur redonner un
coup de neuf, surfant sur l'émotion causée par les attentats et sur la belle
immunité qui en découle, de Poutine à Bush. Un coup d'antiterrorisme : rien
de tel pour blanchir nos hommes politiques, n'est-ce pas José Maria ?
En touche finale, faites confiance à l'empire médiatique de Berlusconi
pour bien assimiler Battisti à Ben Laden, et le tour est joué.
Il ne faut pas non plus négliger les résultats que Berlusconi attend, avec
cette campagne, contre le mouvement altermondialiste italien qui a démontré
dans les dernières années d'avoir appris à se mobiliser de manière incisive
et musclée sans toutefois tomber dans les dérives des aînés des années '70.
La gauche italienne, et de manière encore plus marquée ses intellectuels,
paraît par contre s'enfoncer dans le marais du loyalisme à tout crin. Tout
se passe comme si toute personne publique de gauche, pour éviter
l'accusation de soutenir le terrorisme, se devait de faire allégeance au
lynchage de Cesare Battisti, et même de renchérir dans l'infamie et dans la
manipulation historique. Ils auront honte, un jour.
Où sont les réserves que les gouvernants français, toutes couleurs
confondues, exprimaient il n'y a pas si longtemps, au sujet de la manière
"cavalière" de gouverner de leur voisin ?
Et maintenant, le volet français. Un revirement aussi soudain par rapport
aux engagements pris au plus haut niveau n'est sans doute pas le fait du
hasard. Le fait est que l'Italie, grâce à l'extraordinaire recul des droits
sociaux et politiques, est devenue un modèle néolibéral pour de nombreux
pays européens. Et l'on sait la propension de l'Europe à toujours emprunter,
au niveau économique et social, les voies les plus arriérées (lisez :
modernes) tracées par un de leurs pays membres.
Il en est de même pour la justice. La création d'un espace judiciaire
européen où l'usage "archaïque" de la demande d'extradition avec son cortège
d'inutiles et coûteux retards ne serait plus qu'un souvenir, est déjà écrite
dans notre avenir. Plus de possibilité de quitter un pays dont les lois où
les pratiques policières seraient contraires aux droits du citoyen, sans
être renvoyer illico à la case départ sans aucune possibilité de recours.
Par définition tout pays européen est une démocratie parfaite. (Que faire
quand le vote le fait basculer aux extrêmes ?)
Par extension, tout pays engagé dans la lutte contre le mal (remplir ce
mot de tout ce qui gêne les régimes néolibéraux) l'est aussi. Avis aux José
Bové et aux traminots (terroriste et preneurs d'otages notoires) : il n'est
pas sûr que Rimini vous accueille.
Voilà ce qui est en jeu dans le cas Battisti. Voyez vous-mêmes si cela ne
concerne que quelques exilés italiens.
D'ailleurs plusieurs des obstacles légaux qui empêchaient en toute logique
l'extradition vers l'Italie (utilisation des "repentis" dans les procès,
impossibilité de faire appel d'un jugement par contumace, droits des
prévenus et durée de la détention provisoire etc.) font déjà partie des
projets du gouvernement français. Pourquoi alors aller chercher des poux sur
la tête de Berlusconi ?
Mais au-delà des garanties légales, que nous ne devons jamais considérer
comme des simples questions formelles (n'oublions pas qu'une loi, quand elle
existe, ne peut être que violée ou abrogée, alors que l'arbitraire des
"promesses des présidents" ...), une question plus politique se pose. C'est
la question de la légitimité des dirigeants italiens d'aujourd'hui à exiger
le renvoi des réfugiés.
Historiquement, il n'y a pas de symétrie entre ces réfugiés et la clique
qui dirige l'Italie.
Les premiers ont analysé, disséqué leur engagement passé. Ils ont reconnu
les errements et les erreurs, quand ce n'est pas la dérive éthique et
humaine qui les a souvent amenés à épouser la structure mentale de leurs
adversaires. Une révision totale de ces années-là à été réalisée. L'histoire
a été écrite.
Les seconds, héritiers du pouvoir en Italie (et avec eux leurs historiens,
journalistes et intellectuels), n'ont même pas amorcé le début d'une analyse
critique du système mafieux par lequel ils ont pillé les richesses et les
espoirs des italiens. La campagne très médiatique de "mani pulite" n'ayant
servi qu'à nettoyer les écuries pour permettre l'émergence d'une nouvelle
caste de politiciens plus à même d'incarner l'état ultralibéral et
post-démocratique.
Aucun de ceux-là (ou presque) n'a payé pour le passé et les poseurs de
bombes d'hier siègent aujourd'hui à Montecitorio (parlement), quand ce n'est
pas dans un fauteuil ministériel.
La légitimité morale de cette campagne de haine est encore plus douteuse.
Esquivant les procès, changeant les lois selon sa convenance personnelle,
violant explicitement les règles de l'audiovisuel et les engagement pris,
protégeant sa clique à outrance, Berlusconi et son gouvernement ne possèdent
aucune légitimité morale pour exercer le "droit de vengeance" sur les
anciens militants.
La campagne antifrançaise lancée par les médias de tout poil (presque tous
appartenant à Berlusconi ou à sa famille) appuie sur le plus primaire des
ressorts - nous ne laisserons pas les Français nous donner des leçons de
démocratie !-. Aussi l'engagement des personnalités françaises plus ou moins
connues est "vendu" en Italie comme une insulte à l'orgueil national ou une
nouvelle mode parisienne.
Il convient de répondre que l'extradition demandée par Berlusconi est,
elle, une ingérence grave dans l'autonomie et les traditions françaises.
La partie qui se joue sur cette affaire est tout autant une question
d'humanité et de solidarité envers un homme qui a déjà payé un prix très
lourd pour ses choix, qu'une bataille politique majeure pour l'avenir de nos
droits individuels et collectifs.
Pour toi Cesare, que je ne connais pas et que j'ai peu lu (désolé, le
polar c'est pas mon truc), j'ai un seul mot un peu désuet mais que j'emploie
dans les plus forts des sens : coraggio! Carlo R.
FAQ (FREQUENTLY ASKED QUESTIONS)
SUR CESARE BATTISTI
par Valerio Evangelisti
traduit par le Collectif Bellaciao
(liens en fin de texte)
Le fait qu'on ait rouvert dernièrement les pages de Carmilla On Line aux contributions traditionnelles, après un mois et demi pendant lequel elles étaient presque entièrement consacrées au cas Battisti, ne veut pas dire que nous avons oublié ce dernier. Certes, dépassé par d'autres évènements, ce cas n'a plus une place centrale dans la presse italienne, et ceux qui ont éclaboussé Cesare Battisti de toutes les façons possibles croient peut-être avoir gagné leur bataille. Chez nous aussi bien qu'en France, où des pressions furibondes en provenance d'Italie ont induit certains journaux à changer soudainement d'attitude. Les ennemis de Cesare Battisti, à notre avis, se font des illusions : des surprises les attendent. Entre temps, et tandis que d'autres contributions pressent (parmi lesquelles la dernière partie de « Et Frankenstein fabriqua sa créature »), nous publions une exposition complète et paisible de ce cas tout entier, faite de questions et de réponses. Le lecteur sans préventions (et nous avons heureusement un nombre de lecteurs supérieur à celui de plusieurs petits quotidiens) pourra se faire une idée objective de toute l'histoire.
Pourquoi Cesare Battisti fut-il arrêté, en 1979 ?
Il fut arrêté dans le cadre des coups de filet qui frappèrent le Collectif Autonome de La Barona (un quartier de Milan) après le meurtre, le 16 février 1979, du joaillier Luigi Pietro Torregiani.
Pourquoi le joaillier Torregiani fut-il assas-siné ?
Parce que, le 22 janvier 1979, avec une personne de sa connaissance elle aussi armée, il avait tué Orazio Daidone : un des deux braqueurs qui avaient pris d'assaut le restaurant Il Transatlantico où il dînait en compagnie de plusieurs personnes. Un client, Vincenzo Consoli, mourut dans la fusillade, un autre fut blessé. Qui tua Torregiani voulait frapper ceux qui, à l'époque, tendaient à « se faire justice par eux-mêmes ».
Cesare Battisti participa-t-il à l'assaut à Il Transatlantico ?
Non. Personne n'a jamais affirmé cela. Il s'agit d'un fait divers.
Cesare Battisti participa-t-il au meurtre de Torregiani ?
Non. Même cette circonstance - affirmée dans un premier temps - fut totalement exclue par la suite. Autrement il aurait été impossible de l'entraîner, comme cela se vérifia par la suite, dans le meurtre du boucher Lino Sabbadin, qui eut lieu en province de Udine le même 16 février 1979, quasiment à la même heure.
Et pourtant on a laissé entendre que Cesare Battisti a blessé un des enfants adoptifs de Torregiani, Alberto, resté par la suite paraplégique.
Il est acquis qu'Alberto Torregiani fut blessé par erreur par son père dans la fusillade avec les agresseurs.
Pourquoi donc Cesare Battisti est-il mis en relation avec l'homicide Torregiani ?
Parce que, comme il l'a lui-même reconnu, il faisait partie du groupe qui revendiqua l'attentat, les Prolétaires Armés pour le Communisme. Le même groupe qui revendiqua l'attentat Sabbadin.
Qu'est-ce que c'était les Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC) ?
Un des nombreux groupes armés issus, vers la fin des années 70, du mouvement dit Autonomie Ouvrière et consacré à ce qu'ils appelaient « illégalité diffuse » : des «expropriations » (banques, supermarchés) aux représailles contre les entreprises qui organisaient du travail au noir en allant plus rarement jusqu'à blesser ou tuer.
Les PAC ressemblaient-ils aux Brigades Rouges ?
Non. Comme tous les groupes autonomes, ils ne visaient ni la construction d'un nouveau parti communiste ni un bouleversement immédiat du pouvoir. Ils essayaient plutôt de prendre le contrôle du territoire, en y déplaçant les rap-ports de force en faveur des classes sub-alternes et en particulier de leurs composantes juvéniles. Ce projet, quelle que soit la façon dont on le juge (il n'a certainement pas mar-ché), ne collait pas avec celui des BR.
Monsieur Armando Spataro, un des Minis-tères Publics du procès Torregiani, a dit récemment que les adhérents aux PAC n'étaient pas plus d'une trentaine
Il a une mauvaise mémoire. Les personnes enquêtées pour appartenance aux PAC furent au moins soixante. La plupart étaient de jeunes ouvriers. Venaient ensuite les chômeurs et les enseignants. Les étudiants n'étaient que trois.
30 ou 60 cela ne fait pas grande différence.
Mais si, au contraire. Les probabilités de participation aux choix généraux de l'organi-sation ainsi qu'aux actions projetées par elle changent. N'oublions pas que si des dizaines de braquages sont attribués aux PAC, les homicides sont au nombre de quatre. La participation directe à un de ceux-ci devient nettement moins probable si l'on double le nombre des effectifs.
Cesare Battisti était-il le chef des PAC, ou un de ses chefs ?
Non. Il s'agit là d'une pure invention journalis-tique, créée ces derniers mois. Ni les actes du procès, ni d'autre éléments ne mènent à le considérer comme l'un des chefs. D'ailleurs, il n'avait pas un passé lui permettant de remplir un rôle de ce genre. C'était un militant parmi tant d'autres.
Lors du procès, Battisti fut cependant jugé parmi les « organisateurs » de l'homicide de Torregiani.
Par déduction. Il aurait participé à des réunions où l'on avait discuté de la possibilité de l'attentat, sans exprimer d'opinion contraire. Ce n'est qu'avec l'entrée en scène du repenti Mutti - après que Battisti, condamné à douze ans et demi s'était évadé de prison et enfui au Mexique - que se précisa l'accusation, mais encore une fois, par déduction. Puisque Battisti était accusé par Mutti d'avoir joué des rôles de couverture dans l'homicide de Sabbadin et puisque les attentats à Torregiani et à Sabbadin avaient clairement été inspirés par une même stratégie (frapper les commerçants qui tuaient les braqueurs), voilà que Battisti devait forcément faire partie des «organisateurs » du guet-apens tendu à Torregiani, même s'il n'y avait pas participé en personne.
Et pourtant, de tous les crimes attribués à Battisti, celui auquel on donne le plus d'importance est précisément le cas Torregiani.
Peut-être se prêtait-il plus que d'autres à une utilisation « spectaculaire » (que l'on voie l'emploi récurrent d'Alberto Torregiani, pas toujours prêt, pour des raisons que l'on peut aussi comprendre, à révéler qui le blessa). Ou peut-être - étant donné certaines propositions récentes du ministre Castelli, sur le thème de l'auto-défense des commerçants - était-ce l'épisode le mieux capable de faire vibrer certaines cordes dans l'électorat de référence.
En tout cas, ceux qui défendent Battisti ont souvent joué la carte de la « simultanéité » entre le délit Torregiani et le délit Sabbadin alors que Battisti a été accusé d'avoir « organisé » le premier et « exécuté » le second.
Ceci est dû à l'ambiguité même de la première demande d'extradition de Battisti (1991), aux informations contradictoires fournies par les journaux (nombre et qualité des délits variaient d'un journal à l'autre), au silence de qui savait. N'oublions pas qu'Armando Spataro n'a commencé à fournir des détails - ou plutôt, un certain nombre de détails - que lorsqu'il a vu que la campagne en faveur de Cesare Battisti risquait de remettre en discussion la façon dont lui et les autres magistrats impliqués (Corrado Carnevali, Pietro Forno, etc.) avaient mené l'instruction et le procès. N'oublions pas non plus que le gouvernement italien a tenu à soumettre aux magistrats français, à la veille de la séance qui devait prendre une décision à propos de la nouvelle demande d'extradition de Cesare Battisti, 800 pages de documents. Il est facile d'argumenter qu'il jugeait lacunaire la documentation produite jusque là. A plus forte raison, elle présentait des lacunes pour ceux qui envisageaient d'empêcher que Battisti fût extradé.
De toute façon, le procès qui a été fait à Cesare Battisti et aux autres accusés du meurtre Torregiani fut un procès régulier.
Non, ce ne le fut pas et il est assez simple de le démontrer.
Pourquoi le procès Torregiani, ensuite étendu à toute l'histoire des PAC ne fut-il régulier ?
Soyons précis : il ne fut régulier que dans le cadre des distorsions de la légalité introduites par la soi-disant « urgence ». Sous le profil du droit général, le procès a été vicié par au moins trois éléments : le recours à la torture pour extorquer des aveux en cours d'instruction, l'usage de témoins mineurs ou affectés par des troubles mentaux, la multiplication des chefs d'accusation sur la base des déclarations d'un repenti d'une crédibilité incertaine. Plus d'autres éléments mineurs.
Les magistrats torturèrent-ils les personnes arrêtées ?
Non. Ce fut la police à les torturer. Il y eut bien treize dénonciations : huit provenaient des accusés et cinq de leurs familles. Une instruction de ce genre n'est pas un fait inédit mais certainement insolite à cette époque. Les magistrats se bornèrent à recevoir les dénonciations pour les classer ensuite.
Peut-être les classèrent-ils parce qu'il ne s'était pas agi de vraies tortures, mais de simples pressions un peu fortes sur les accusés.
Un des cas dénoncés le plus fréquemment fut celui de l'obligation d'ingurgiter de l'eau versée dans la gorge de la personne interrogée à toute pression à travers un tuyau pendant qu'un agent la frappait à coups de genou dans l'estomac. De plus, ils dénoncèrent tous qu'on les avait fait se déshabiller, qu'on les avait enveloppés dans des couvertures pour que ne reste aucune marque et qu'on les avait ensuite battus à coups de poing et de bâtons. Parfois, attachés à une table ou à un banc.
Si les magistrats ne donnèrent aucune suite aux dénonciations, cela fut peut-être parce qu'il n'y avait pas de preuve que tout cela s'était réellement passé.
En effet, le substitut du procureur Alfonso Marra, chargé d'en référer au juge d'instruction Maurizio Grigo, après avoir dérépertorié les délits commis par les agents de la Digos de « lésions » en « coups » pour absences de marques permanentes sur le corps (en Italie, le délit de torture n'existait pas et n'existe même pas aujourd'hui, grâce au ministre Castelli et à son parti), concluait que même l' accusation de coups ne pouvait pas avoir de suite, étant donné que les agents, seuls témoins ne confirmaient pas. De son côté, le Ministère Public Corrado Carnevali, justement, en charge du procès Torregiani, insinua que les dénonciations de torture étaient un
système adopté par les accusés pour délégitimer l'enquête tout entière. Rien ne nous dit que le Ministère Public Carnevali avait tort.
Un épisode au moins ne colle pas avec sa thèse. Le 25 février 1979, l'accusé Sisinio Bitti dénonça au substitut du procureur Armando Spataro les tortures subies et rétracta les aveux rendus pendant l'interrogatoire. Il raconta entre autres qu'un policier, en le frappant avec un bâton, l'avait poussé à dénoncer un certain Angelo ; après quoi il avait dénoncé le seul Angelo qu'il connaissait, un certain Angelo Franco. On ne crut pas en la rétractation de Bitti et Angelo Franco, un ouvrier, fut arrêté en tant que participant à l'attentat Torregiani. On ne devait le relâcher que quelques jours plus tard : il ne pouvait en aucune façon avoir participé au guet-apens. Cela veut dire que la rétractation de Bitti était authentique et que donc, très probablement, les violences par lesquelles les faux aveux lui avaient été extorqués l'étaient aussi. On doit remarquer en passant que parmi les quotidiens qui dénoncèrent à l'époque les tortures figurait aux premières loges la Repubblica (ce journal alla jusqu' à invoquer une
intervention du ministre de l'intérieur) qui prend aujourd'hui parti avec acharnement contre Battisti.
Même si l'on admet le recours aux sévices au cours de l'instruction, cela n'innocente pas Cesare Battisti.
Non, mais cela donne une idée du genre de procès dans lequel il fut impliqué. Le définir «régulier » est pour le moins discutable. Parmi les témoins à charge de quelques accusés figurèrent aussi une fillette de 15 ans, Rita Vitrani, poussée à déposer contre son oncle ; jusqu'à ce que ses contradictions et ses ingénuités ne fassent comprendre qu'elle était psychiquement fragile (« aux limites de l'imbécillité », comme le déclarèrent les experts). Dans le procès figura aussi un autre témoin, Walter Andreatta, qui tomba bientôt dans un état confusionnel et fut qualifié de « déséquilibré » et de victime de crises dépressives graves par les mêmes experts du tribunal.
Même si l'on admet le cadre précaire de l'enquête, il y a à considérer que Cesare Battisti renonça à se défendre. Quasiment une admission de culpabilité, même si, avant de se taire, il se proclama innocent.
C'est ce qu'il peut nous sembler aujourd'hui, mais pas à l'époque. C'est même le contraire qui est vrai. A ce moment-là, les militants des groupes armés capturés se proclamaient prisonniers politiques et renonçaient à leur défense parce qu'ils ne reconnaissaient pas la « justice bourgeoise ». Battisti y renonça parce qu'il dit avoir des doutes sur l'équité du procès.
Mais si l'on met de côté les violences et les témoignages peu crédibles en cours d'instruction le procès fut mené à bien avec équité.
Pas précisément. Des accusés mineurs furent frappés de peines disproportionnées. Bitti, cité ci-dessus, fut innocenté de tout délit mais fut également condamné à trois ans et demi de prison parce qu'on l'avait entendu approuver dans un lieu public l'attentat à Torregiani. S'était déclenché le soi-disant « concours moral » en homicide, inspiré directement des procédures de l'Inquisition. Angelo Franco, évoqué ci-dessus, fut de nouveau arrêté, quelques jours après avoir été relâché, cette fois pour association subversive, et condamné à cinq ans. Cela en l'absence d'autres délits mais seulement parce qu'il fréquentait le collectif autonome.
Selon Luciano Violante, une certaine « dureté » était indispensable pour éteindre le terrorisme. Et Armando Spataro prétend que dans ce but l'aggravante des « finalités terroristes », qui doublait les peines, se révéla être une arme décisive.
Elle cassa aussi les vies de pas mal de jeunes, arrêtés avec des accusations destinées à s'aggraver de façon exponentielle au cours de la détention, même en l'absence de faits de sang.
Cela ne vaut pas pour Cesare Battisti, condamné à la prison à vie pour avoir participé à deux homicides et en avoir exécuté deux autres.
A la fin du procès en première instance, Battisti, arrêté à l'origine pour des accusations mineures, se trouva condamné à douze ans et demi de prison. Les condamnations à perpétuité arrivèrent cinq ans après son évasion de la prison. Mais voici venu le moment de parler des «repentis » et surtout de l'unique repenti qui l'accusa. Pour entrer après dans le coeur des trois autres délits.
Essayons de comprendre ce qu'est un « repenti »
Si nous nous référons aux groupes d'extrême-gauche, c'est ainsi que l'on définit les détenus pour des délits liés à des associations armées qui, en échange de remises de peine conséquentes, renient leur expérience et acceptent de dénoncer leurs camarades, en contribuant à leur arrestation et au démantèlement de l'organisation. De facto, une figure de ce genre existait déjà à la fin des années 70, mais elle rentre de façon stable dans la législation, d'abord avec la «loi Cossiga » n°15 du 6.2.1980, puis avec la « loi sur les repentis » n°304 du 29.5.1982. Les dangers inhérents à son mécanisme avant et après cette date sont évidents.
Quels seraient ces « dangers » ?
La logique de la norme faisait en sorte que le « repenti » puisse tabler sur des remises de peine d'autant plus importantes que le nombre de personnes qu'ils dénonçaient augmentait ; c'est pourquoi, une fois épuisée la réserve d'informations en sa possession, il était poussé à puiser dans les suppositions et les bruits récoltés ici et là. De plus, la rétroactivité de la loi poussait à des délations indiscriminées, même à plusieurs années de distance des faits, quand des vérifications matérielles étaient désormais impossibles.
Existe-t-il des exemples de ces effets pervers ?
Le cas le plus éclatant fut celui de Carlo Fioroni qui, menacé d'être condamné à perpétuité pour l'enlèvement en vue d'une rançon d'un ami décédé pendant l'enlèvement, accusa de complicité Toni Negri, Oreste Scalzone et d'autres personnalités de l'organisation Pouvoir Ouvrier, évitant cette condamnation. Mais d'autres repentis, tels que Marco Barbone (qui collabore aujourd'hui à des quotidiens de droite), Antonio Savasta, Pietro Mutti, etc. continuèrent aussi des années durant à faire appel à leur mémoire et à distiller des noms. Chaque dénonciation était suivie d'arrestations à tel point que la détention devint une arme de pression pour obtenir d'autres repentirs. Malheureusement tout cela ne fit scandale que dans un deuxième temps, quand la logique du repentir, appliquée au champ de la criminalité commune, provoqua le cas Tortora et d'autres, moins connus.
Pietro Mutti fut le principal accusateur de Cesare Battisti. Qui était-il ?
Il figura parmi les accusés du procès Torregiani, bien que contumace, et l'accusation demanda pour lui huit ans de prison. Il fut capturé en 1982 (après que Battisti s'était déjà évadé), à la suite de la fugue de la prison de Rovigo, le 4 janvier de la même année, de quelques militants de Première Ligne. Mutti fut accusé d'être parmi les autres organisateurs de l'évasion.
De quels délits Mutti, une fois repenti, accusa-t-il Battisti ?
Si l'on néglige les délits mineurs, de trois homicides. Battisti (avec une complice) aurait directement assassiné, le 6 juin 1978, l'adjudant des gardiens de la prison de Udine Antonio Santoro, que les PAC accusaient de maltrai-tance des détenus. Il aurait directement assassiné à Milan, le 19 avril 1979, l'agent de la Digos Andrea Campagna, qui avait participé aux premières arrestations liées au cas Torregiani. Entre les deux crimes, il aurait participé, sans tirer directement mais de toute façon avec des rôles de couverture, à l'homicide déjà évoqué du boucher Lino Sabbadin de Santa Maria di Sala.
L'homicide Sabbadin est celui dont on a le plus parlé. Dans une interview avec le groupe français d'extrême droite Bloc Identitaire, le fils de Lino Sabbadin, Adriano, a déclaré que les assassins de son père auraient été les complices du braqueur tué par ce dernier.
Ou bien sa réponse à été mal interprétée ou bien il a déclaré quelque chose qui n'apparaît dans aucun acte du procès. Il vaut mieux négliger les déclarations des proches des victimes, dont la fonction, au cours des deux derniers mois, a été essentiellement spectacu-laire.
Cesare Battisti est-il coupable ou innocent des trois homicides dont l'accusa Mutti ?
Il se dit innocent, même s'il assume d'avoir fait le mauvais choix en direction de la violence qui l'entraîna, lui et tant d'autres jeunes, à l'époque. Mais ici la question n'est pas d'établir si Battisti est innocent ou pas. Au contraire, la question est de voir si sa culpabilité fut jamais vraiment prouvée et de vérifier, dans ce but, si le développement du procès qui mena à sa condamnation peut être jugé correct. On n'expliquerait pas autrement l'acharnement avec lequel le gouvernement italien, soutenu aussi par d'illustres noms de l'opposition, essaye de se faire restituer Battisti par la France.
Hormis les dénonciations de Mutti, d'autres preuves à charge de Battisti pour les crimes Santoro, Sabbadin (même si c'est avec un rôle de couverture) et Campagna firent-elles surface ?
Non. Quand les magistrats parlent aujourd'hui de « preuves », ils se réfèrent au recoupement qu'ils ont effectué entre les déclarations d'un « repenti » (Mutti, dans notre cas) et les indices livrés indirectement par les « dissociés ».
Qu'est ce qu'on entend par « dissocié » ?
Celui qui prend ses distances par rapport à l'organisation armée à laquelle il appartenait et avoue des délits et des circonstances qui le concernent, mais sans accuser d'autres personnes. Cela comporte une remise de peine, même si elle est évidemment inférieure à celle d'un repenti.
En quel sens un dissocié peut-il fournir directement des indices ?
Par exemple s'il affirme n'avoir pas participé à une réunion parce qu'il était contraire à une certaine action qui y était projetée, même s'il ne dit pas qui y participait. Si entre temps un repenti a dit que X participa à cette réunion, voilà que X figure automatiquement parmi les organisateurs.
Qu'est ce qu'il y a qui ne va pas dans cette logique ?
Il y a qu'aussi bien la dénonciation directe du repenti que l'indice fourni par le dissocié viennent de sujets alléchés par la promesse d'un allègement de leur propre détention. Leur lecture conjointe, si les vérifications manquent, est effectuée par le magistrat qui la choisit parmi les différentes lectures possibles. De toute façon, en plus, c'est le repenti, c'est-à-dire celui qui a les encouragements majeurs, qui est déterminant. Tout cela dans d'autres pays (non totalitaires) serait admis en cours d'instruction et en cours de débat pour la confrontation avec l'accusé. Ce ne serait jamais accepté comme ayant valeur de preuve dans la phase du jugement. En Italie, oui.
Est-ce que dans le cas de Battisti il manque d'autres vérifications ?
Il n'y a que des témoignages qui disent l'avoir reconnu, des témoignages que même le magistrat Armando Spataro a qualifiés de peu concluants.
Mais le repenti Mutti ne peut-il pas être considéré crédible ? Y a-t-il des raisons pour affirmer qu'il soit jamais tombé dans le mécanisme « Plus j'en avoue, moins je reste en prison » ?
Oui. Les dénonciations de Pietro Mutti ne concernent pas que Battisti et les PAC mais elles partirent tous azimuts et se dirigèrent dans les directions les plus variées. La plus éclatante concerna l'OLP de Yasser Arafat qui aurait livré des armes aux Brigades Rouges. En détails, Mutti lista, « trois fusils AK47, 20 grenades à main, deux mitraillettes FAL, trois revolvers, une carabine pour franc-tireur, 30 kg d'explosifs et 10 000 détonateurs » (ce n'est pas beaucoup, à bien y regarder, hormis le nombre incongru des détonateurs ; il ne manquait plus qu'Arafat livrât un pistolet à air comprimé). Sur la base de cette précieuse révélation, le procureur Carlo Mastelloni put ajouter un fascicule à son « enquête vénitienne » sur les rapports entre les terroristes italiens et les terroristes palestiniens et alla jusqu'à appeler en jugement Yasser
Arafat lui-même. Ensuite, il dut classer le dossier parce que Arafat ne vint pas et le reste se dégonfla.
Est-ce que cela a quelque chose à voir avec les armes en provenance du Front Populaire pour la Libération de la Palestine négociées en 1979 par un certain Maurizio Follini qu'Armando Spataro dit avoir été militant des PAC ?
Ce Follini était un marchand d'armes et, selon quelques-uns, espion soviétique. Il fut mis en cause par Mutti, mais en relation avec d'autres groupes. Il vaut mieux détourner pieusement le regard. Mais après avoir remarqué combien les révélations de Mutti tendaient au délire.
Mutti ne sera pas crédible pour d'autres enquêtes mais rien ne nous garantit que, au moins sur le PAC, il ne disait pas la vérité.
Rien ne nous le dit, en effet, hormis un détail. En 1993, la Cassation a innocenté une co-accusée de Battisti, dénoncée elle aussi par Mutti. Je parle de 1993. Pendant dix ans, la magistrature avait cru, à son propos, aux accusations du repenti. Cela devrait parler de soi.
Même en admettant que le procès qui a amené à la condamnation de Cesare Battisti ait été vicié par des irrégularités et centré sur les dépositions d'un repenti peu crédible, il est certain que Battisti a pu se défendre dans les instances de jugement qui ont suivi .
Il n'en est pas ainsi, au moins en ce qui concerne le procès en appel de 1986, qui modifia la sentence de première instance et le condamna à la perpétuité. A l'époque, Battisti était au Mexique et ignorait ce qui se passait à son détriment en Italie.
Le magistrat Armando Spataro a dit que bien qu'il ait échappé de son initiative à la justice italienne, Battisti put se défendre dans toutes les instances du procès par l'avocat qu'il avait nommé.
Cela n'est vrai que pour la période où il se trouvait désormais en France et donc vaut essentiellement pour le procès en Cassation qui eut lieu en 1991. Cela ne vaut pas pour le procès de 1986 qui déboucha sur la sentence de la cour d'Appel de Milan du 24 juin de la même année. A l'époque Battisti n'avait aucun contact ni avec l'avocat payé par ses proches ni avec ses proches eux-mêmes.
Cela, c'est lui qui le dit
Oui, mais Maître Giuseppe Pelazza de Milan qui se chargea de la défense le dit aussi et de même ses proches. Mais il s'agit certainement de témoignages partiaux. Reste le fait que Battisti n'eut aucune confrontation avec le repenti Mutti qui l'accusait. Il s'était soustrait à la prison, d'accord ; mais la donnée objective est qu'il ne put pas intervenir dans un procès qui transformait sa condamnation de douze ans en deux perpétuité et lui attribuait l'exécution de deux homicides, la participation à plusieurs titres à deux autres, quelques agressions avec blessés et une soixantaine de braquages (à savoir l'activité des PAC tout entière). Cela était et est admissible pour la loi italienne mais ne l'est pas pour la législation d'autres pays qui, même si elles prévoient la condamnation par contumace, imposent le renouvellement du procès au cas ou le contumace soit capturé.
Armando Spataro réfère que la Cour des Droits humains de Strasbourg a jugé suffisantes les garanties de l'accusé dans la pratique italienne du procès par contumace.
C'est vrai. Mais le magistrat Spataro se réfère à une seule sentence et oublie toutes celles où la même cour a recommandé à l'Italie de s'adapter aux normes en vigueur dans le reste de l'Europe en matière de contumace. D'ailleurs, c'est une jurisprudence constante de la Cour des Droits humains que de ne considérer légitime le procès par contumace que si l'accusé a été informé du procès à sa charge. Cela n'est pas démontrable dans le cas de Cesare Battisti. Et il ne suffit pas non plus que son avocat ait été prévenu. Selon l'article 42 du code de déontologie de la Cour de Strasbourg, l'avocat ne représente effective-ment son client que si
1) le premier se conforme aux décisions du deuxième au sujet des finalités du mandat à le représenter ;
2) l'avocat se consulte avec son client en ce qui concerne les façons d'atteindre ces finalités.
Le point 2), en ce qui concerne le procès en appel de 1986, n'a sûrement pas été appliqué et le point 1) est douteux lui aussi. Rien ne démontre que Battisti ait été informé du procès qui le concernait et les éléments qui existent tendent à prouver le contraire.
Il s'agit là de chicanes qui ne démontrent rien et qui oublient l'essentiel de la question en l'enterrant sous des formes juridiques.
Mais Battisti n'est tenu de rien prouver. La charge de la preuve revient à ceux qui l'accusent. En ce qui concerne l'essentiel de la question, essayons de le résumer :
1) une instruction qui naît d'aveux extorqués par des méthodes violentes ;
2) une série de témoignages d'éléments incapables par leur âge ou par leurs facultés mentales ;
3) une sentence exagérément sévère ;
4) une aggravation de la sentence même due à l'apparition tardive d'un « repenti » qui débite des accusations de plus en plus graves et généralisées. Tout cela dans le cadre de normes rendues plus sévères et destinées à étouffer rapidement un bouleversement social d'enver-gure, plus ample que les positions de chacun.
Mais tout cela ne peut pas intéresser la justice française, appelée à décider sur l'extradabiité de Cesare Battisti.
En effet, cela ne l'intéresse pas. Les thèmes en discussion en France sont autres : celui, général, du respect de la dite « doctrine Mitterrand » qui concédait le droit d'asile aux réfugiés italiens recherchés pour terrorisme pourvu qu'ils renoncent à toute velléité d'éversion ; celui, particulier dans le cas Battisti, de la licéité pour une cour française de réformer une décision de refus de l'extradition déjà prononcée ; celui, d'ordre moral, de la remise aux prisons italiennes de personnes, et parmi elles de Battisti, qui pendant treize ans se sont fiés aux promesses reçues et ont complètement changé de vie.
La « doctrine Mitterrand » n'excluait-elle pas de l'asile politique les auteurs de faits de sang ?
C'est ce qu'ont soutenu le même Spataro, d'autres magistrats et plusieurs journalistes parmi lesquels la journaliste française Marcelle Padovani. C'est une grossière erreur. Tous ceux-ci se basent sur le colloque originaire entre Mitterrand et Craxi qui fonda la « doctrine » (en réalité non pas une petite méchanceté de la France à l'Italie mais une main tendue pour l'aider à sortir des « années de plomb »), mais ils oublient comment une telle doctrine se précisa ensuite. Avant tout, par une intervention du même Mitterrand au 65°congrès de la Ligue des Droits de l'homme, en 1985, où il renouvela avec force la concession de l'hospitalité aux environ 300 réfugiés politiques italiens en France, recherchés pour des crimes antérieurs à 1981, sans faire de distinction entre « crimes de sang » et autres. Ensuite - ou plutôt, parallèlement - par l'institution d'un groupe de travail composé de conseillers de l'Elysée et du gouvernement, de hauts fonctionnaires de police, de magistrats et d'avocats, chargés de donner corps aux indications du président de la République française. Dans une interview publiée par Libération le 6 avril dernier, un des membres de la commission, Maître Jean-Pierre Mignard, a témoigné qu'on ne fit aucune distinction au sujet du genre de crime, aussi parce que les dossiers parvenus d'Italie étaient pollués par des procédures lacunaires, des contradictions et des préventions idéologiques de la part des magistrats. Cela fut aussi à la base du rejet de la première demande d'extradition de Battisti en 1991.
Armando Spataro affirme au contraire que le rejet fut de nature technique. Les magistrats français repoussèrent la demande italienne d'extradition de Battisti sur la base des actes de l'instruction (cela en relation avec l'instruction du « procès Torregiani » commencé par le substitut du procureur Forno en 1979), tandis qu'il se réservèrent de se prononcer définitivement au moment où les sentences seraient devenues définitives.
Le magistrat Spataro a admis (en dialoguant par écrit avec ses confrères du Mouvement pour la Justice) avoir cherché une solution au fait que la magistrature française était appelée à se prononcer une deuxième fois sur une même demande d'extradition ; et, après avoir pris en considération plusieurs solutions (c'est ce qu'il nous semble comprendre), s'être arrêté sur celle-ci. S'il en est ainsi, il s'agit d'un comportement plutôt insolite pour quelqu'un qui se considère comme un chercheur dépassionné de la vérité. Hormis ceci, la thèse de Spataro ne se déduit ni du texte de la sentence prononcée en 1991 par les magistrats français ni des souvenirs de ceux qui participèrent à la séance. N'oublions pas ensuite que fin 2003 le Procureur Général de la Cour d'Appel de Paris notifia au Garde des Sceaux français que l'on n'avait pas jugé bon de donner cours à la énième demande d'extradition de Battisti du gouvernement italien. Evidemment, il considérait que rien n'avait changé par rapport à 1991. Le cas Battisti ne s'est rouvert que parce que l'exécutif français, sous pression italienne, a procédé à l'arrestation de l'écrivain.
Le ministre italien Castelli, selon Armando Spataro (mais aussi selon l'ex-magistrat Luciano Violante), n'a fait que son devoir en poussant pour l'arrestation de Battisti et d'autres réfugiés en France.
On a l'impression que la volonté de justice du ministre Castelli est pour ainsi dire sélective. L'acharnement qu'il montre vis-à-vis de militants d'extrême gauche au repos depuis des décennies ne correspond pas à celui qu'il exerce vis-à-vis des ex-militants d'extrême droite en contumace. Du reste, cela n'a rien de surprenant étant donné le glissement idéologique du parti auquel appartient Castelli, la Ligue Nord. Un parti qui confie aujourd'hui son école des cadres à Alain de Benoist, qui consacre des pages d'une de ses publications à Davide Beretta (ex-membre des Equipes d'Action Mussolini, responsables d'environ 80 attentats), qui essaie de séduire les adhérents de Alliance Nationale au nom d'une « continuité » que Fini aurait trahie, qui manifeste de la solidarité au parti raciste belge Vlaam Blok, qui remplit de références à Julius Evola les colonnes culturelles de ses publications pour la jeunesse. Pour ne pas parler des récentes prises de position sur le droit à l'auto-défense et sur la torture. Luciano Violante ne semble pas voir de continuité entre de telles prises de position et la chasse acharnée à l' « extrémiste rouge » qui, depuis 20 ans, vivote en d'autres parties du monde. Dommage pour lui, il ne sait pas distinguer la justice de la vengeance.
Cela n'empêche qu'une grande partie de la gauche est unie dans le soutien à un magistrat comme Armando Spataro.
Cela est un problème de la gauche, justement. Il y a à se demander si elle a connaissance de ce que non seulement Spataro, mais aussi d'autres magistrats qui furent comme lui parmi les protagonistes de la répression des mou-vements des années 70 et des premières années 80, pensent des cas d'Adriano Sofri ou de Silvia Baraldini. J'imagine - ou peut-être j'espère - que bon nombre de représentants de la « gauche » (appelons-la ainsi) en seraient un peu secoués.
Il est inutile de tourner autour du pot. Cesare Battisti n' a jamais manifesté de re-pentir.
Le droit moderne - je l'ai déjà dit - réprime les comportements illicites et ignore les conscien-ces individuelles. Réclamer un repentir quel-conque était typique de Torquemada ou de Vishinskij.
Il a même exulté quand il a été libéré.
Ce n'est pas un comportement si bizarre. Dans la photo qui accompagne cet article, Battisti exulte. Il était peut-être en train d'exalter la justice prolétaire et les tribunaux du peuple ? Non, il était simplement en train de sortir d'un bistrot. Figurez-vous s'il peut exulter à la sortie d'une prison et pour le renvoi d'un déplacement forcé vers la prison à vie. Paolo Persichetti en sait quelque chose qui, depuis qu'il a été extradé, est trimballé d'un pénitencier à l'autre et s'est même vu refuser le nécessaire pour écrire.
On ne peut pas liquider ainsi avec une boutade un problème plus complexe.
C'est exact. On ne peut pas liquider ainsi le problème plus général une fois pour toutes du régime de l'urgence avec les aberrations juridiques qu'il a introduites dans la législation italienne. Mais cela peut être l'objet d'autres FAQ qui feraient abstraction du cas spécifique traité ici.
Traduit de l'italien pour bellaciao.org
par Karl et Rosa
Source : www.carmillaonline.com
09.05.2004
Collectif Bellaciao http://bellaciao.org/fr
retour au début
Comme eux, je suis un citoyen engagé pour un meilleur aujourd'hui,
persuadé que les raisons de mon opposition à cet acte nous concernent tous.
vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvd
Cesare Battisti :
ce que les médias ne disent pas
par Wu Ming 1
Traduit du site littéraire italien Carmilla online
http://www.carmillaonline.com/archives/2004/03/000657.html#000657
Préambule
1. Les lois spéciales 1975-82
2. Terrorisme, conscience, "guerre préventive"
3. Censures et erreurs de la presse sur l'affaire Battisti
4. Le "mal français"
5. Solution politique et amnistie
------------------------------------------------
"Je ne peux cacher mon amertume en voyant resurgir certaines accusations
contre la magistrature italienne qui, comme le disait à l'époque Pertini,
contribua à arrêter le terrorisme tout en respectant la constitution et les
règles de procédure." Armando Sparato, La Republica, 8 mars 2004
"Vu la situation d'urgence [...] le gouvernement et le parlement ont le
devoir indéclinable d'adopter une législation spéciale (et le droit) de ne
pas se sentir strictement lié par la Constitution." Sentence 15/1982 de la
cour constitutionnelle. (c'est moi qui souligne)
Après la mise en liberté surveillée de Cesare Battisti, les médias
italiens se sont déchaînés, déversant sur l'opinion publique tout le métal
fondu pendant des années dans les hauts fourneaux du ressentiment, de la
vengeance, de l'obsession sécuritaire.
Il est impossible de faire un compte rendu de tous les mensonges et les
aberrations écrits et transmis cette semaine. Il n'y a pas un seul article,
aussi bref soit-il, qui n'en contienne des dizaines. Même les détails
apparemment insignifiants sont erronés. Des faits et des personnages qui
n'ont rien à voir avec cette affaire sont jetés dans la marmite pour
troubler le bouillon, déchaîner la panique morale, empêcher à n'importe quel
prix l'usage de la raison.
Un lynchage médiatique comme on n'en avait plus vu depuis longtemps,
auquel il est très difficile d'opposer des arguments, des éléments concrets
et des reconstructions historiques un minimum approfondies.
Et pourtant on ne peut pas renoncer à exercer la raison, on ne peut pas
courber le dos et se cacher la tête dans les mains en attendant que passe la
bourrasque. Quand bien même il s'agirait d'une entreprise désespérée, il
faut opposer la raison au fanatisme.
On ne peut pas passer sous silence que, dans ce pays, celui qui continue
à s'opposer aux manipulations sécuritaires est destiné à se sentir seul : il
s'agit d'une de ces campagnes où l'on doit se garder des deux côtés, à
droite (cela va sans dire en français dans le texte, NDT) et à gauche.
Des deux côtés les arguments (même s'il est difficile de les appeler ainsi)
sont les mêmes.
Cela ne devrait pas nous surprendre : parler de l'alerte au terrorisme
signifie revenir sur les déformations juridiques, les entorses
constitutionnelles et les pratiques inquisitoriales que le Part Communiste
Italien de la fin des années Soixante-dix (celui du "compromis historique"
et de la "solidarité nationale") soutint avec enthousiasme et abnégation.
Les mêmes personnes, aujourd'hui, dirigent le centre gauche. Ou plutôt
dirigent cette partie du centre gauche qui, comme les autruches, a récemment
mis la tête dans le sable irakien, en refusant de voter contre la
participation de l'Italie à l'occupation néo-coloniale de la Mésopotamie.
Ces mêmes personnes ont depuis longtemps délégué à une partie de la
magistrature debout les difficultés d'une opposition à Berlusconi qu'elles
n'étaient pas en mesure de conduire devant le Parlement (quand elles ne
refusent pas de le faire afin de continuer le "dialogue", la "responsabilité
face aux institution" et l'embrouille bipartite du moment).
Nombre de "Juges rouges" (comme les appelle Berlusconi) sont les mêmes
qui instruisirent et conduisirent les grands procès contre le terrorisme
(vrai ou présumé : les mouvements sociaux de l'époque furent passés dans la
même moulinette). La gauche est toujours guidée par la vision de l'histoire de
ceux qui écrivirent et approuvèrent les lois d'exception et de ceux qui
représentaient l'accusation aux procès qui en découlèrent.
Il n'est pas surprenant que ceux qui, à l'époque, prirent et défendirent
des positions si drastiques, soient peu disposés à y revenir aujourd'hui
pour se reconnaître des torts, ou au moins pour remettre leurs raisons en
perspective. Pour cette raison, aussi, qu'à droite, on donne sans pudeur
dans le Grand Guignol, on répand de la tripaille pour éclabousser de sang
tout le champ de la discussion, on frotte les yeux des téléspectateurs avec
des oignons. Avec l'arme de l'émotions incontrôlée et du chantage moral, on
rappelle à l'ordre la gauche "réformiste", on la pousse à condamner la
gauche "radicale", à diviser le camp de l'opposition. Comme si les
"réformistes" avaient besoin d'être poussés...
Ainsi on condamne le Pays à l'éternelle peur des fantômes d'un passé,
qui en réalité ne passe pas, et n'est évoqué que pour des motifs de basse
cuisine politico-électorale.
1. Les lois spéciales 1975-82
« Ce livre, je l'ai écrit avec colère. Je l'ai écrit entre 1974 et 1978
en contrepoint idéologique de la législation d'exception. Je voulais montrer
à
quel point il est équivoque de feindre de sauver l'État de Droit en le
transformant en État Policier. » (les italiques sont de l'auteur de
l'article) Italo Mereu, Préface de la deuxième édition de Histoire de
l'intolérance en Europe.
Pour dire que le terrorisme fut combattu sans renoncer à la Constitution
et aux droits de la défense, il faut être mal informé ou menteur. La
Constitution et la civilisation juridique furent mises en lambeaux, décret
après décret, instruction après instruction.
Le décret-loi n.99 du 11-04-1974 porta à huit ans l'incarcération
préventive, véritable "peine anticipée" contraire à la présomption
d'innocence (article 27, alinéa 2, de la Constitution).
La loi n. 497 du 14-10-1974 réintroduisit l'interrogatoire de la
personne arrêtée par la police judiciaire, ce qui avait été aboli en 1969.
La loi n. 152 du 22-05-1975 ("Loi Réale"). L'article 8 rend possible la
fouille individuelle des gens sur place sans l'autorisation d'un magistrat,
bien que la Constitution (article 13, alinéa 2) n'admette "aucune forme de
détention, d'inspection, ou de fouille individuelle, ni aucune autre
restriction à la liberté personnelle, sans un acte signé par l'autorité
judiciaire et dans les seuls cas et modalités prévus par la loi."
Dès lors, les forces de l'ordre purent (et peuvent toujours) fouiller
des personnes dont l'attitude ou la simple présence dans un lieu donné ne
lui paraissaient pas justifiables, même si la Constitution (article 16)
précise
que tout citoyen est libre de "circuler librement" où il veut.
La "Loi Reale" contenait plusieurs autres innovations liberticides, mais
ce n'est pas ici le lieu de l'examiner. - Un décret interministériel du
04-05-1977 créa les "prisons spéciales".
Ceux qui y entraient ne bénéficiaient pas de la réforme carcérale mise
en place deux ans auparavant. Le transfert dans une de ces structures était
entièrement laissé à la discrétion de l'administration carcérale sans
qu'elle ait besoin de demander l'avis du juge de surveillance. Il s'agissait
réellement d'un durcissement du règlement pénitentiaire fasciste de 1931 : à
cette époque, seul le juge de surveillance pouvait envoyer un détenu en
"prison de haute surveillance". Le réseau des prisons spéciales devint vite
une zone franche, d'arbitraire et de négation des droits des détenus :
éloignement du lieu de résidence des familles ; visites et entretiens
laissés à la discrétion de la direction ; transferts à l'improviste afin
d'empêcher toute socialisation ; interdiction de posséder des timbres
(prison de l'Asinara) ; isolement total en cellules insonorisées dotées
chacune d'une petite cour, séparée des autres, pour prendre l'air (prison de
Fossombro) ; quatre minutes pour prendre la douche (prison de l'Asinara) ;
surveillance continuelle et fouilles corporelles quotidiennes ; privation de
tout contact humain et même visuels par les interphones et la totale
automatisation des portes et des grilles etc.
Tels étaient les lieux où les prévenus, selon la loi encore présumés
innocents, passaient leur incarcération préventive. La Constitution, article
27, alinéa 3, dit : "Les peines contraires au respect humain ne peuvent être
infligées aux condamnés et doivent tendre à sa rééducation du condamné".
Vers quelle rééducation tendait le traitement décrit ci-dessus ?
La loi n.534 du 08-08-1977, article 6, limita la possibilité pour la défense
de déclarer nul un procès pour violation des droits d'un accusé et rendit
encore plus expéditif le système des notifications, facilitant ainsi le
début des procès par contumace (contrairement au droit de la défense et
contre la Convention européenne des droits de l'homme de 1954).
Le "décret Moro" du 21-03-1978 non seulement autorisa la garde à vue de
vingt-quatre heures pour vérification d'identité, mais il supprima la limite
de la durée des écoutes téléphoniques, légalisa les écoutes même sans mandat
écrit, les admit comme preuves dans d'autres procès que ceux pour lesquels
on les avait autorisées, enfin il permit les "écoutes téléphoniques
préventives" même en l'absence du moindre délit. Inutile de rappeler que la
Constitution (article 15) définit comme inviolable la correspondance et tout
autre moyen de communication, sauf dans le cas d'un acte motivé émis par
l'autorité judiciaire et "avec les garanties établies par la loi".
Le 30-08-1978 le gouvernement (en violation de l'article 77 de la
Constitution) promulgua un décret secret qui ne fut pas transmis au
Parlement et ne fut publié dans le "Journal Officiel" qu'un an plus tard. Ce
décret donnait au général Carlo Arberto della Chiesa - sans pour autant le
décharger du maintient de l'ordre dans les prisons - des pouvoirs spéciaux
pour lutter contre le terrorisme.
Le décret du 15-12-1979 (devenu ensuite la "Loi Cossiga", n. 15 du
06-02-1980), non seulement introduisit dans le code pénal le fameux article
270 bis (1), mais il autorisa aussi la police, dans le cas de délits de
"conspiration politique par le biais d'associations" et de délits
"d'associations de malfaiteurs", à procéder à des arrestations préventive
d'une durée de 48 heures, plus quarante-huit heures supplémentaires de garde
à vue afin de justifier les mesures prises. Pendant quatre longues journées
un citoyen soupçonné d'être sur le point de conspirer pouvait rester à la
merci de la police judiciaire sans avoir le droit d'en informer son avocat.
Durant cette période il pouvait être interrogé et fouillé et dans de
nombreux cas on a parlé de violences physiques et psychologiques (Amnesty
International protesta à plusieurs reprises). Tout cela grâce à l'article 6,
une mesure extraordinaire qui a durée un an.
L'article 9 de la loi permettait les perquisitions pour "raison
d'urgence" même sans mandat. La Constitution, article 14, dit : "Le domicile
est inviolable. On ne peut pas y effectuer d'inspections, de perquisitions
ni d'arrestations, sauf dans les cas et les modalités prévus par la loi et
selon les garanties prescrites par la protection des libertés personnelles"
(c'est moi qui souligne). En quoi consiste cette protection des libertés
dans un système où sont légalisés l'arbitraire, les lubies du policier, la
faculté de décider à vue s'il est nécessaire d'avoir ou non un mandat pour
perquisitionner ?
Dans l'article 10, la fin de l'incarcération préventive pour délits de
terrorisme était prolongée d'un tiers par échelon judiciaire. De cette
manière, jusqu'à la Cassation, on pouvait atteindre dix ans et huit mois de
détention en attendant le jugement !
Avec l'article 11, on introduisit un grave élément de rétroactivité de
la loi, permettant d'appliquer ces nouveaux délais aux procédures déjà en
cours. Le but était clair : repousser les dates butoirs afin d'éviter que
des centaines d'enterrés vivants attendent leur jugement à l'air libre.
La "loi sur les repentis" (n 304 du 29-05-1982) couronna la législation
d'exception en concédant des remises de peine aux "repentis". Le texte
parlait explicitement de « repentir » : nous voici revenus aux tribunaux de
conscience, à l'Inquisition. Dans un livre qui, ces derniers jours, a été
souvent cité (sur le Net mais certainement pas dans les médias
traditionnels), Giorgio Bocca se demandait qui pouvait bien être ce
"repenti". « Une personne qui, par convictions politiques, a adhéré à un
parti armé et qui ensuite, après un revirement d'opinion, s'en est dissocié
au point de le combattre, ou encore quelque aventuriste qui s'est amusé à
tuer son prochain et qui, une fois capturé, essaye d'échapper à la punition
en dénonçant tout et n'importe qui ? »
Je cite le groupe musical "Elio e le storie tese" : « Je pencherais pour
la seconde hypothèse / parce qu'elle exhale une odeur nauséabonde » (chanson
de "Urna", 1992).
Bocca poursuivait : "Sont-ils des terroristes repentis ces petits chefs
terroristes qui ont commencé par envoûter les collégiens, les ont convaincus
de s'enrôler et les ont dénoncés pour jouir de la clémence des juges ?
Sont-ils des repentis sincères ceux qui, en l'absence de dénonciations
sérieuses, les ont inventées ? L'état de droit, ce n'est pas la morale
absolue ni l'observance rigoureuse des lois en toutes circonstances, mais
bien la distinction et le contrôle des fonctions. Dans un état de droit, la
police se laisser aller à des méthodes inquisitoriales, mais le citoyen peut
raisonnablement compter sur le contrôle de la police par la justice.
Cependant si l'on accepte, avec la loi sur les repentis et assimilés, que
juges et policiers jouent le même rôle, quel contrôle sera alors possible ?
Toutefois on dit que la loi sur les repentis a été efficace, qu'elle a
permis des centaines d'arrestations et la fin du terrorisme. C'est confondre
la cause et les effets : ce ne sont pas les repentis qui ont vaincu le
terrorisme mais c'est la défaite du terrorisme qui a créé les repentis. On
devrait se demander si la loi a été ou non bénéfique à ce bien suprême d'une
société démocratique qu'est le système des garanties juridiques. La réponse
est que les dommages l'ont emporté sur les avantages, même si une opinion
publique, indifférente au thème des garanties jusqu'au jour où elle est
directement et personnellement touchée, fait semblant de ne pas s'en rendre
compte. Le fait est qu'une bonne partie de la magistrature debout s'est
laissée séduire par les résultats faciles et éclatants du système des
repentis, qu'elle a pris pour argent comptant les déclarations des repentis
jusqu'à renverser les fondements du droit, que les rumeurs ont remplacé les
preuves. De grand procès ont été bâtis sur les déclarations de repentis, on
a effectué des centaines d'arrestations avant de rassembler les preuves.
Un magistrat italien a pu déclarer à une radio française, à propos de
l'affaire Hyperion... « Je n'ai pas de preuves mais j'en trouverai ». Les
hommes politiques, les enseignants, les moralistes ne se sont pas préoccupés
des conséquences inquisitoriales de la loi, de la chaîne infernale des
délations incontrôlables qu'elle mettait en mouvement.
La réaction des victimes de la délation a été, comme on pouvait le
prévoir, féroce, une série de cadavres de « balances » ont été ramassés
après coup par les gardiens de prison, selon la loi barbare de nos prisons.
Dans la fosse aux serpents tout est possible et rien n'est contrôlable. »
Je vous demande pardon pour la longueur de cette citation, mais je crois
qu'elle en valait la peine.
La Cour Constitutionnelle ne put nier que toutes ces lois étaient
constitutives d'un état d'exception : elle décida tout simplement que, "vu
l'urgence", c'était bien comme ça. Ponce Pilate a encore les mains dans la
cuvette. Il n'y a pas de mauvaise mémoire publique qui puisse écarter cette
réalité, il n'y a pas d'ex PM (ministère public) qui puisse arriver à me
faire accepter cette barbarie au nom de la "Raison d'État", aucune gauche
respectueuse de la loi ne pourra jamais me convaincre du bien fondé de tout
cela.
2. Terrorisme, conscience, "guerre préventive"
C'est justement l'état d'âme, la pensée cachée et non dite, la
désobéissance intérieure, qui deviennent l'objet des enquêtes, puisque c'est
ce que les juges aspirent à vérifier... Dans les procès de ces dernières
années, on a soumis à l'évaluation du juge pénal des comportements tels
que la création d'un collectif de travailleurs opposé au syndicat, l'organisation de
séminaires autogérés, la collaboration à un périodique lié à une structure
associative considérée comme illicite par le biais d'un article au contenu
illicite, l'intervention devant une assemblée universitaire, et,
généralement, tout échange de documents politiques, lettres, coups de fils,
etc, dont le contenu n'est pas pénalement punissable.
Antonio Bevere, Processo penale e delitto politico, ovvero della
moltiplicazione et dell'anticipazione delle pene, (Procés pénal et délit
polique, ou de la multiplication et de l'anticipation des peines) dans
Critica del dritto (Critique du Droit). 29-30, Sapere 2000, Avril-Septembre
1983.
La Constitution, article 27, alinéa 1, dit que "la responsabilité pénale
est personnelle". Pourtant notre code pénal (qui remonte au fascisme et qui
fut durci sur plusieurs points à l'époque des lois spéciales) pullule de
délits comme le "concours moral" ou l' "adhésion psychologique" au délit, ainsi que
de toute forme de délits associatifs que l'on puisse imaginer sur la surface
de la terre.
Une grande partie des instruction sur le terrorisme travaillait surtout
sur ces éléments mais aussi sur les soupçons et les intentions (le fameux
"être sur le point de")selon une idée extrêmement répandue du concours, du
recel et des contiguïtés.
On en arriva à théoriser les "intentions terroristes" comme existant
"au-delà du but immédiatement poursuivi par la personne agissante (meurtre,
dégâts, etc.)" et de le définir comme un "délit à forme libre" où le dol
spécifique "offre l'élément unificateur et l'essence des délits terroristes"
(c'est moi qui souligne) (2). Plus simplement c'est l'intention qui est
terroriste, la fin ultime, même s'il faut faire abstraction des faits
concrets. Ce n'est pas étonnant si, dans de nombreuses affaires, on finit
par faire le procès de la personnalité et de l'idéologie des accusés,
n'hésitant pas à identifier cette dernière d'après leurs relation amicales
avec Pierre et Paul ou parce qu'ils ont hébergé Jacques.
On est terroriste, indépendamment même de ce qu'on fait. C'est
l'intention qui est terroriste, c'est contre elle qu'est menée une "guerre
préventive", ce qui est typique de la société de contrôle. Il y a
"conspiration", même si elle a abouti sur rien. On peut vous accuser de d'
"insurrection" même si l'insurrection n'a pas eu lieu. : comme dit Pietro Calogero,
il s'agit d'un "délit à consommation anticipée", ce qui veut dire plus simplement
- que le vrai délit est de "vouloir" l'insurrection.
Tribunaux de la conscience.
Je ne suis pas juriste, pourtant il me semble que je peux saisir le
noyau idéologique ; le "meme" de cette idée de "prévention" à la même
époque, Outre Atlantique, dans l'Anti-Riot Act - avril '968, conçu et utilisé contre
les mouvements afro-américains et la mobilisation pour mettre fin à la
guerre au Viêt-nam. Cette loi punit ceux qui, au cours d'un déplacement sur
le réseau routier ou pendant l'utilisation des infrastructures du réseau
routier, commettent des actes destinés à "inciter, organiser, promouvoir,
encourager, participer et fomenter une émeute [riot] ou aider quelqu'un dans
ce sens". Selon la loi américaine, un riot est un rassemblement de cinq
personnes ou plus qui, en se comportant de manière violente ou en menaçant
de le faire, mettent en grand péril les personnes ou les biens.
Pour résumer, certains membres des mouvements américains furent soumis à des
enquêtes, jugés et condamnés pour avoir voyagé sur le réseau routier dans
l'intention d'aider quelqu'un à encourager le rassemblement de cinq
personnes risquant de se comporter de manière à causer des dommages à la
propriété d'autrui. J'espère avoir démontré clairement la grande distance
qui sépare la personne du délit présumé.
Qu'il soit bien clair que je ne suis pas en train de dire que tous les
accusés des procès contre le terrorisme étaient étrangers aux faits
reprochés, loin de là. Toutefois, beaucoup de gens furent jugés et condamnés
non pas pour des actes spécifiques mais plutôt au nom d'une idée abstraite
de "spécificité terroriste". Le légendaire "procès d'intention" devint une
réalité grâce à la Raison d'État.
Les effets de cette déformation sur l'opinion publique perdurent encore
aujourd'hui.
Ce n'est pas un hasard si ce qu'on reproche le plus à Cesare Battisti,
c'est de "ne pas s'être repenti".
Ce n'est pas un hasard si la croissante "monstrification" médiatique de
Cesare Battisti, fait désormais abstraction des délits pour lesquels il a
été condamné et se concentre sur son style de vie d'aujourd'hui, on l'accuse
d'être "lâche" parce qu'il a fuit, d'être "fourbe" parce que le "lobby des
écrivains de gauche" le protège, on l'agresse avec des flashes à bout
portant à sa sorti de prison afin d'obtenir des images étranges, de figer la
grimace fugace et de le balancer à la une des journaux pour montrer à quel
point il est "affreux, sale et méchant".
Un journaliste de l'Unità (journal du Parti Communiste Italien) se
demande :
"Battisti est-il toujours convaincu que tuer le boucher Lino Sabbadin ou le
bijoutier Pierluigi Torregiani fut un acte révolutionnaire ?"
Dans un pays laïc, réellement dominé par une culture du droit et des
garanties, la "conviction" de Battisti, la "pseudo-enquête psychologique"
sur son repentir, seraient hors sujet et n'auraient aucune influence."
3. Censures et erreurs de la presse sur l'affaire Battisti
Mon objectif n'est pas de démontrer que Cesare Battisti est innocent. Ce
n'est ni à moi ni à l'opinion publique d'en juger. Ce que je tiens à faire
comprendre, c'est qu'en général la manière d'aborder cette affaire souffre
de toutes les distorsions, vices de procédure et imbroglio non résolus de la
période de l'état d'urgence. Ce sont ces éléments, dont on ne veut pas faire
table rase, qui empêchent une analyse rationnelle, laïque et constructive.
Les reconstitutions hâtives du cas judiciaire de Cesare Battisti, éditées
dans la presse italienne, sont très éloignées de la réalité des faits et
même en contradiction avec les actes de l'instruction et des procès. Si même
un des PM (Ministère Public) de l'époque glisse des erreurs grossières dans
sa lettre ouverte, écrivant par exemple que le bijoutier Torregiani avait
tué un cambrioleur dans son propre magasin alors que ça s'est passé au
restaurant Transatlantico (3), que penser des simples commentateurs de
versions de quatrième main ?
Tous, vraiment tous, répètent que Battisti a tiré sur Torregiani et sur
son fils de treize ans, condamnant ce dernier au fauteuil roulant. Alberto
Torregiani a même été interviewé par les chaînes télévisées qui l'ont
présenté comme "victime de Cesare Battisti. Pourtant, selon les dires du
même ex-P.M, Battisti ne faisait pas partie du commando qui a tué
Torregiani. (4) Battisti a été condamné pour avoir "conçu" et/ou "organisé
ce crime, conclusion très difficile à démontrer, entièrement basée sur des
présomptions et des témoignages de "repentis". C'est une des choses qui, de
l'autre côté des Alpes, fait tiquer aussi bien la justice que l'opinion
publique. Battisti est également dénoncé par des "repentis" en tant que
responsable de deux meurtres perpétrés le même jour à la même heure. Face à
cette évidente impossibilité logique, le tableau se modifie, il serait
exécuteur matériel de l'un (meurtre de Sabbadin) et "concepteur" de l'autre
(crime Torregiani). De plus il serait également responsable de dizaines et
dizaines de braquages et, en général, de tous les délits commis par
l'organisation dont il faisait partie, les Prolétaires Armés pour le
Communisme (groupe qui eut une existence assez brève).
Ceux qui ignorent à quel point notre droit (surtout celui des lois
spéciales anti- terrorisme) est entaché de contiguïtés, de complicités et de
"co-participations" de toutes sortes, ne peuvent que s'étonner et trouver
des contradictions dans le tableau dépeint par la sentence. Je ne suis pas
en train de mener une contre-enquête, ce qui m'importe de comprendre c'est
pourquoi, devant les énormes idioties relatées dans les médias sur le rôle
de Battisti dans le meurtre de Torregiani, monsieur Sparato n'a pas agi dans
l'intérêt d'une information juste et d'une meilleure compréhension de
l'affaire, en prenant papier et stylo pour expliquer "Attention, ceci est-il
vrai ? » Pourquoi, bien que sachant parfaitement que Battisti n'a jamais
tiré sur un petit garçon sans défense, Sparato n'a-t-il pas démenti le
hurlement des chiens de l'information ? Pense-t-il avoir fait honneur à la
fonction publique qu'il exerce en se comportant de manière si hésitante ?
Le directeur d'un journal raciste, lors d'une émission télé, a crié, sur le
registre de l'hystérie, que Cesare Battisti "a tiré dans le dos du bijoutier
Torregiani", décrivant le guet-apens de manière encore plus ignoble que ce
qu'on peut imaginer. Mais Battisti n'y était pas, comme nous l'a confirmé Mr
Spataro. En outre, Torregiani - qui portait un gilet pare balles - affronta
le commando et répliqua aux tirs. Ce qui rend la tragédie plus amère, c'est
que ce fut une de ses balles qui frappa son fils Alberto.
La veille, Torregiani dînait au Transatlantico avec un de ses clients,
M. Lo Cascio. À un moment donné deux hommes entrèrent dans le restaurant et,
sous la menace de leurs armes, dérobèrent portefeuilles, bijoux, montres etc. Se
comportant de manière pour le moins "imprudente" Torregiani et Lo Cascio
dégainèrent leurs pistolets et déclenchèrent une fusillade au cours de
laquelle un des braqueurs et un client furent tués, ce dernier serait encore
vivant si tout les monde avait gardé son sang froid au lieu d'essayer de se
faire justice soi-même.
Ce fait divers ne justifie en rien la justice sommaire des P.A.C.,
d'autant plus que si Torregiani s'est rendu coupable lui même de justice
sommaire, en le tuant et en blessant un innocent cette organisatio ne fit
que répéter l'histoire de la veille.
Mais justement, comme il est hors de question de justifier cet attentat,
pourquoi soustraire cet épisode de toutes les reconstitutions de l'affaire ?
Pourquoi cacher ce premier maillon de la chaîne ? Peut-être parce que
Pierluigi Torregiani ne peut être décrit comme un être humain, avec ses
contradictions et ses tragiques erreurs, mais seulement comme une "héros
bourgeois", un saint défenseur des biens, un chevalier blanc, pour que
Battisti apparaisse encore plus sanguinaire et monstrueux ?
Et encore pourquoi omettre de citer les protestations d'Amnisty
International pour la manière dont ont été traités les suspects pendant leur
garde à vue, utilisant le terme sans équivoque de "torture" ? Vrai ou faux ?
Ce n'est pas en se taisant qu'on trouvera la réponse.
4. Le "mal français"
"Mais comment se permettent-ils ces Français ? Pensent-ils pouvoir nous
donner des leçons ?" Voilà un des leitmotivs de ces derniers jours.
Ressentiment envers l'opinion publique française qui ne veut pas nous rendre
un "boucher", un "monstre". Comme ils sont arrogants, nos "cousins" !
"Ils sont fous ces Gaulois !".
Au lieu d'essayer de comprendre le point de vue des autres, nous
considérons que c'est "nous" qui avons raison de manière évidente et
indiscutable. Et on ne se rend pas compte que, pendant que nous les accusons
de se mêler de nos affaires, c'est nous qui nous mêlons des leurs.
Pourquoi les Français devraient-ils renier une pratique juridique
vieille de plusieurs dizaines d'années, la dénommée "Doctrine Mitterrand", respectée
par tous les gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédés
depuis, simplement parce que leur ministre Perben a passé des accords avec
notre ministre Caselli ?
Si le ministre de la justice chinois, ou birman, au nez et à la barbe
des lois italiennes qui interdit l'arrestation et l'extradition des
personnes condamnées à mort dans leurs pays d'origine, obtenait de Caselli
l'arrestation et l'extradition d'un réfugié (appelons-le Chèsàré Xiliren),
ne réagirions-nous pas avec force ?
Et si nous apprenions qu'un tribunal italien a déjà examiné le cas de ce
Xiliren en 1991, prononçant un avis défavorable à son extradition, et qu'il
revient sur cette décision alors qu'aucun élément nouveau ne justifie une
nouvelle arrestation et un réexamen de l'affaire treize ans après ?
Et si, pour couronner le tout, Chèsàré Xiliren n'avait jamais commis aucun
délit dans notre pays, se comportant, au contraire, de manière exemplaire et
contribuant de surcroît à la culture nationales ?
Cet exemple présente un défaut : la Chine et la Birmanie ne font pas
partie de l'Union Européenne. En fait ce ressentiment à l'égard des Français
se fonde sur l'idée que nos "cousins" sont en train de faire obstacle à
"l'espace juridique européen". Cette critique vient d'un pays, le nôtre, qui
a été critiqué et condamné plusieurs fois par la cour de Strasbourg ; d'un
pays qui pendant plus de quarante ans, n'a pas respecté la Convention
européenne en ce qui concerne la condamnation par contumace ; d'un pays qui,
pendant et après le G8 a gardé en détention des citoyens européens sur la
base d'accusations invraisemblables, s'attirant même la protestation
officielle du gouvernement autrichien. En outre l'Italie détient
actuellement la première place parmi les gouvernements les plus
"anti-européens" et a été la risée de tout le monde pendant le semestre où
elle a présidé l'UE . Pouvons-nous vraiment nous permettre de critiquer qui
que ce soit sur ces sujets ?
Ensuite il y a ceux qui disent que les Français ne sont tendres qu'avec
les terroristes des autres, traitant très mal les leurs. Sans aucun doute.
Contrairement aux affirmations de nos médias, la France n'est pas un pays
qui félicite les militants de la lutte armée en leur tapant amicalement sur
l'épaule. On les met en taule, comme dans le reste du monde. Nous pouvons
donc simplement conclure que la gauche française ne défend pas Battisti
parce qu'il a été un terroriste, mais malgré le fait qu'il l'ait été.
L'opposition à l'extradition dépasse largement Battisti et son parcours
personnel, bien qu'il soit opportun de noter qu'il n'a commis aucun délit
depuis trente ans et qu'il n'a aucun lien avec les nouveaux groupes armés.
La campagne va bien au-delà, pour les Français, il s'agit de défendre un
principe, celui du droit d'asile, et un point d'honneur, celui de la parole
donnée par Mitterrand à nos compatriotes réfugiés dans l'Hexagone.
5 - Solution politique et amnistie
Il aura fallu un écrivain français, Daniel Pennac, pour réussir à parler
d'amnistie dans les pages d'un quotidien italien. Un de nos compatriotes
n'aurait probablement jamais réussi à passer certains "filtrages". Pennac,
interviewé par un quidam, a dit : « Avec la République l'amnistie est
devenue quelque chose de nécessaire à la conception républicaine de la paix
sociale. Il y a l'exemple de la Commune mais, plus près de nous, celui de
l'amnistie des membres de l'OAS, qui se sont battus avec bombes et violence
contre l'indépendance de l'Algérie. Pourtant, quatre ans après la fin de la
guerre, ils ont été amnistiés. Ils étaient d'extrême droite, ils ont tué, je
ne cautionne pas le fait qu'ils aient tué, mais il fallait les amnistier
[...]
L'amnistie est le contraire de l'amnésie. Il s'agit de fermer une porte
pour permettre aux historiens d'analyser une période de manière moins
passionnelle. Il m'est difficile de l'admettre sentimentalement, surtout
quand on pense aux victimes. Toutefois il ne faut pas considérer le problème
d'un point de vue affectif. »
C'est un souhait qui tombe dans l'oreille d'un sourd, dans ce pays on ne
peut affronter certaines choses qu'à coups d'émotions et de psychologie des
foules. On est encore hystérique sur les années Quarante, sur les foibe, sur
l'épuration sauvage des fascistes exécutée par les Volante Rossa et les
groupes similaires, alors comment imaginer que l'on puisse entamer un débat
sur l'état d'urgence sans remuer tout ce qui est exposé plus haut.
Surtout aujourd'hui, avec l'opposition à Berlusconi planquée derrière les
sacs de sable des tranchées judiciaires (un beau cadeau, avec beaucoup de
rubans, d'un certain leadership « girotondiste »(6)).
Et pourtant il faut essayer. Je ne crois pas exagérer en affirmant que
ce pays ne pourra jamais s'améliorer sans réfléchir à ce qui s'est passé
dans les années Soixante-dix. Et ce n'est qu'après l'amnistie des derniers
prisonniers et réfugiés de ce que la culture dominante appelle "les années
de plomb", après la solution politique d'un problème qui fut et reste
politique et pas seulement criminel, que l'on pourra espérer comprendre ce
qui s'est passé et comment ces événements ont conditionné la vie publique
italienne.
(Traduction : Arlette Raynal et Serge Quadruppani)
---------------------
Notes
* Wu Ming pseudonyme collectif (Wu Ming, en chinois, signifie « personne »)
d'un groupe de jeunes écrivains italiens liés au mouvement « no-global ».
On trouve leurs productions et leurs théories sur le refus du copyright sur
http://www.wumingfoundation.com.
Wu Ming 1 s'appelle Roberto Bui.
(1) Quiconque encourage, constitue, organise et dirige des associations dont
le but est de renverser l'ordre démocratique par la violence, encourt une
réclusion de 7 à 15 ans. Quiconque participe à de telles associations sera
puni d'une réclusion de 4 à 8 ans.
Dans le code pénal, l'article 270 existait déjà.
"Quiconque, sur le territoire de l'État, encourage, constitue, organise ou
dirige des associations destinées à instituer par la violence la dictature
d'une classe sociale sur les autres, ou à supprimer violemment une classe
sociale, ou encore à bouleverser les violemment l'ordre économique et social
constitués dans l'État, encourt une réclusion de 5 à 12 ans. Est soumis à la
même peine quiconque, sur le territoire de l'État, encourage, constitue,
organise et dirige des associations dont le but est la suppression par la
violence de tout ordre politique et juridique de la société. Quiconque
participe à de telles associations encourt une réclusion de 1 à 3 ans. Il
est évident qu'il s'agit du même délit. Dans ce cas pourquoi ce "double
emploi", si ce n'est pour isoler et amplifier la "spécificité terroriste" et
ainsi rallonger les peines ?
(2) Citation de ce qu'on nomme "Carte de Cadenabbia", document qui conclue
le colloque de magistrats en charge des principales enquêtes sur le
terrorisme, cit. R. Canosa - A. Santosuosso, Il processo politico in Italia,
Critica del Dritto (Le procès politique en Italie, Critique du Droit) N°
23-24, Nuove Edizioni Operaie, Rome, Octobre 1981-mars 1982, page 17.
(3) La reconstitution détaillée des événements qui suivent est tirée du
Processo all'instruttoria. Storia di un'inquisizione politica (Procès de
l'instruction. Histoire d'une inquisition politique) de Laura Grimaldi, Ed.
Milano Libri, 1981.
(4) D'après un texte d'Armando Sparato, repris intégralement dans "Se a
Parigi pari sono Battisti e Victor Hugo" de Mario Pirani, La Repubblica, 8
mars 2004, page 14.
(5) Foibe :
(6) De girotondi : mouvement de citoyens qui forment des « rondes » en se
tenant par la main autour de bâtiments (dont les palais de justice)
incarnant les institutions menacées par Berlusconi.
13.03.2004
=============================
retour au début