MAFIA - MODULE 3
L'effroi, c'est donc quelque chose de très particulier, qui n'a rien à voir par exemple avec l'éblouissement. L'éblouissement, ce qu'on en sait, le plus communément, c’est, par exemple le coup de foudre, ette dévastation du corps et de l'âme qui très rapidement, soudainement, anéantit, bouleverse, ravage, sublime, l’être tout entier. L'effroi, lui, s'élabore sur un tout autre protocole, que je pourrais tenter de résumer de la manière suivante : je suis confronté à une situation, que je ne comprends pas, dont je ne comprends pas les tenants et les aboutissants ; je
sens que cette situation me concerne, je sens que cette situation me regarde,
je sens qu'il y a dans la situation un processus inéluctable ; mais je ne sais
pas dans quelle mesure ce processus inéluctable est un processus de
destruction, ou un processus de renaissance. En clair, je suis confronté à une
situation inouïe, inédite, qui ne peut pas manquer de se produire, mais dont je
ne sais absolument rien sur les abîmes, les béances, et les fulgurances qu'elle va
ouvrir. L'effroi donc c'est d'être confronté brutalement, soudainement, sans
aucun repli possible, à la perspective d'un avenir inédit qui s'ouvre à nous.
Il m'arrive de penser que cette question de l'effroi est intimement liée aux
conditions mêmes de ma naissance.
Je suis né quelques jours après la fin de l'immense incendie qui ravagea 28 000 hectares de forêt de pins dans la campagne bordelaise. Cet incendie au cours duquel périrent 82 sauveteurs est resté profondément ancré dans les mémoires de la population girondine. Je suis né dans les odeurs de cendres, de brûlé, de "cramé" comme on dit par là -bas. Je suis né dans une terre à peine refroidie, et après que la nature ait choisi de se porter à l'incandescence. Ces incendies bien connus démarrent
avec une vitesse fulgurante, dans des conditions... pas toujours très naturelles,
se propagent d'autant plus facilement que la sécheresse des sous-bois est
totale, que les vents tourbillonnants sont violents et permettent au feu de se
propager à la vitesse de l'éclair, ruinant absolument tout sur son passage.
Plus tard, devenu adulte il me fut donné de traverser le centre montagneux de
la Grèce, lors d’un immense incendie qui ravageait toute la région, et je me
souviens qu’avec nos amis nous avons traversé, des centaines de kilomètre de routes, de villages, de forêts, embrasés. Et je me souviens d’avoir ressenti alors quelque chose d'indéfinissable, situé quelque part entre la jubilation et l'effroi. / / / / /
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Thus the Dismay, it is something very particular which has nothing to do for example with the dazzle. The Dazzle, what we know about it most collectively, it is for example love at first sight. This devastation of the body and the soul which very quickly, suddenly, annihilates, upsets, sublimates the whole being. The Dismay elaborates it on a quite other protocol that I could try to summarize in the following way: I am confronted with a situation which I don't understand, of which I don't understand the ins and outs. I feel this situation concerns me, I feel this situation looks at me, I feel there is in the situation an inevitable process but I don't know in which measure this inevitable process is a process of destruction or rebirth. Clearly, I am confronted with an incredible new situation which must occur but I know absolutely nothing about abysses, cracks, lightning which it is going to open. The dismay is to be confronted brutally, suddenly, without any possible recesses for the perspective of an unseen future which opens to us.
I think sometimes that this question of the dismay is deeply connected to the conditions of my birth. I was born some days after the end of the immense fire which ravaged 280000 hectares of pines forest in the country of Bordeaux. During this fire, dying 82 rescuers are still profoundly anchored in the memoirs of the Girondist population. I was born in the smells of ashes, of burned, of "cramé" as we say by over there. I was born in a hardly cooled ground, and after the nature had chosen to wear the incandescence. These famous fires start with a lightning speed, in conditions not always very natural, propagate all the more easily as the drought of the undergrowth is total, that the swirling winds are violent and allow the fire to propagate as the lighting speed, ruining absolutely everything on its passage. Later, become an adult I crossed the mountainous centre of Greece ; during my trip, an immense fire ravaged all the region and I remember that with our friends we crossed hundreds of kilometres of roads, villages, forests set ablaze. And I remember having felt then something of indefinable situated somewhere between the jubilation and the dismay.