MAFIA - MODULE 6
Mon premier séjour en prison n'a pas duré très longtemps, car j'ai pu, grà ce à l'organisation, m'enfuir très facilement et... assez rapidement. D'ailleurs cette évasion n'a rien d'une aventure rocambolesque ; elle était simplement très bien préparée, très bien organisée ; elle fonctionnait grâce à un solide réseau de complicité -- de corruption -- à une organisation sans faille, et à une analyse très précise des faiblesses de l'institution. Donc au final, quelque chose de simple, facile à organiser, facile à mettre en oeuvre. D'ailleurs, j'étais rentré en détention
pour satisfaire à une des obligations... quasiment initiatiques, du gang auquel
j'appartenais, et qui consistait à ..., au terme d'une opération violente, qui
consistait à se faire prendre, pour protéger les intérêts d'un mafieux plus
aguerri et plus ancien dans le groupe. Donc, en fait, cette détention n'était rien
d'autre qu'une étape obligée, dans mon parcours professionnelle de mafieux.
(Silence)
Je vais tenter maintenant de.. d'aborder un des points clé, de... cette conversation. C'est... le point qui consiste à ... essayer d'éclairer ce qu'il en a été... dans mon parcours mafieux... de... la question du crime : des gens que j'ai tués, des conditions dans lesquelles je les ai exécutés, des règles qui prévalaient à l'époque... dans ce genre d'exercice... ce que j'y ai appris, ce que j'ai découvert, et les raisons pour lesquelles j'ai décidé d'arrêter définitivement. Cet aspect de la conversation est... l'aspect le... plus... difficile à aborder, non pas pour moi, mais pour l'auditeur, parce que ici l'on s'attend à des révélations; l'on s'attend à des descriptions et l'on s'attend sans doute à quelque chose de croustillant,
d'émouvant, de dramatique. Ce n'est pas ainsi que je vais aborder la question.
Je vais commencer par parler des... cadavres, je vais commencer par évoquer... la réalité des cadavres, la réalité charnelle, obscène de l'individu mort et réduit à l'état de cadavre. Regardez les images, diffusées par les mouvements tchétchènes sur Internet, images... qui montrent des séries de cadavres d'hommes et de femmes suppliciés : dans quelles conditions ? On ne sait pas... Par qui ? On ne sait pas. Ce qui est bouleversant, dans un premier temps, devient dégoûtant dans un deuxième temps, et pour finir le côtoiement de ces images fait que nous n'y voyons rien d'autre que des images, des images de viande pourrie, de corps désarticulés -- des images d'une effroyable banalité, tant ces derniers temps les guerres, les conflits... les insurrections, se sont multipliés, et tant la couverture médiatique de ces drames nous a habitués, désormais, à voir des cadavres un petit peu partout. Dernièrement d'ailleurs, l'actualité, quasiment quotidienne des médias, est alimentée par ces images de télévision, nous montrant des dizaines et des dizaines de cadavres d'hommes et de femmes africains retrouvés, quand ils sont retrouvés, noyés ou dérivant, le long des berges, des plages de l'Europe du Sud. Nous avons donc domestiqué les cadavres. Ils font donc désormais partis de notre environnement, ils font parties de notre quotidien... (Soupir). On pourrait presque imaginer demain traverser une ville jonchée de cadavres sans que cela pose plus de problèmes que ça.
Le fait que l'espace médiatique soit déjà encombré de cadavres ne fait que préfigurer le fait que les espaces réels de la ville réelle, de la vie réelle, seront un
jour ou l'autre jonchés de cadavres. Nous les enjamberons sans problème
particulier. D'ailleurs nous avons déjà complètement accepté l'idée de côtoyer
des cadavres vivants, des morts vivants, des cadavres ambulants réduits par
l'extrême pauvreté, l'extrême précarité, à l'idée d'une humanité déchet, d'une
humanité, qui advient désormais sous forme de déchet... (Court silence)... Nous avons, donc, un rapport au cadavre qui est très particulier. Si j'aborde ces questions maintenant, c'est parce qu'elles permettent de comprendre comment, dans nos organisations mafieuses, nous devions, pour pouvoir exercer notre métier de tueur, pour pouvoir mener les missions qui nous étaient confiées, nous ne devions rien avoir à faire avec des cadavres.
Quelle est la différence entre un cadavre et un vivant ? La différence c'est la viande. Qu'est-ce qu'un vivant ? Un vivant c'est qui fait que immédiatement nous sommes saisis par un mystère, une aura, une présence une énergie. Quelque
chose qui permet, quelque chose qui a pour fonction, de nous faire oublier la
viande, de nous faire oublier le tas, de nous faire oublier la pourriture, de
nous faire oublier la décomposition, de nous faire oublier la mort. De nous projeter
dans un espace de poésie, de pensée, de dynamique, un espace d'action, l'espace
de la vie.
Tuer quelqu'un qu'est-ce que c'est ? C'est transformer un être humain en viande. C'est prendre la vie et négliger la viande.
Il se trouve que le groupe de tueurs auquel j'appartenais, nourrissait pour une raison inconnue en tous cas inconnue de moi, une répulsion totale et définitive pour les cadavres. Cette répulsion totale et maladive avait conduit le groupe à mettre au point des rituels de meurtres extrêmement précis, faisant en sorte par exemple qu'une
fois le crime effectué, une brigade inconnue des tueurs eux-mêmes était chargée
de récupérer le cadavre et de la faire disparaître. Notre organisation était
fondée sur le crime parfait, le crime parfait étant le crime sans cadavre. Le
crime était réparti entre tueurs et nettoyeurs et il n'y avait jamais aucun
contact entre les uns et les autres.
Tous les groupes mafieux ne fonctionnent pas, ou ne fonctionnaient pas sur ces modalités là . D'autres groupes faisaient de la spectacularisation du crime : faisant de la présence même du cadavre au milieu de l'espace urbain, un des éléments de la scénographie du meurtre. Ce n'était pas du tout le cas dans notre organisation, c'était même l'idée tout à fait contraire qui était défendue, qui était imposée, et qui était obligatoire. C'est bien parce qu'un jour j'ai choisi de déroger à cette règle, que la machine infernale a implosé. / / / / /
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My first stay in prison lasted a short time, because I was able to run away, with the organization very easily... and quickly. Moreover this evasion has nothing of a weird adventure; it was simply very well prepared, very well organized. It worked on a robust network of complicity --of corruption--; it was an organization without defect, with a very precise analysis of the institution's weaknesses. So finaly, something simple, easy to organize, easy to operate. Moreover, I had to go in detention to satisfy one of the obligations, almost initiatory of the gang which one I belonged, and which consisted in the term of a violent operation, consisted to protect the interests of a more hardened and oldest Mafioso in the group. In the fact, this detention was nothing else than an inescapable step in my way of professional Mafioso.
Now I am going to try to approach one of the key of this conversation. It is the point which consists to enlighten in what was my way of Mafioso and the question of the crime: people that I killed, conditions in which I executed them, rules which prevailed in the time, in this kind of exercise. What I learnt, what I discovered, the reasons for which I decided to stop definitively. This aspect of the conversation it is the most difficult to tackle, not for me but for the listener, because here we expect revelations. We expect descriptions and we doubtless expect something of spicy, of moving, of tragic. It is not like that I am going to approach the question.
I am going to begin to speak about.. corpses, I am going to begin by evoking the reality of corpses, and the carnal reality of corpses, the obscene of dead individual reduces to the state of corpse. Look at the images diffused on Internet by the Chechen movements. Images which show series of corpses of men and women racked, in which conditions? We don't know. By who? We don't know. That is shattering at first becomes disgusting in the second time and to finish the closeness of these images made that we see nothing else than images, images of bad meats, dislocated bodies there, images of a horrifying commonness. In this time, the wars, the conflicts, the uprisings multiplied and so much the media coverage these tragic facts, accustomed to us to see corpses everywhere. Recently, the current event, almost daily of the media is fed by these images of television showing us tens and tens of African corpses of men and women found, when they are found, or deriving along of the beaches of the Southern Europe. We domesticated corpses. From now they integrate our environment; they are a part of our everyday life. We could almost imagine tomorrow to cross a city sprinkled with corpses without that it raises more problems than that.
The fact is the media space is already cluttered up by corpses, is only the foreshadowing of the fact that real spaces of the real city, of the real life, will some day be sprinkled with corpses. We shall step over them without particular problem. Already we have completely accepted the idea to be with alived corpses, with living dead, itinerant corpses reduced by the extreme poverty, the extreme precariousness, at the idea of a humanity waste, of Humanity which happens in the form of waste.(short silence) We have a relationship in the corpse which is very particular. If I approach these questions now, it is because they allow to understand how in our Mafioso organization, we owed to be able to exercise our profession of killer, to be able to lead the missions which were confided to us. We should have to do nothing with corpses.
What is the difference between a corpse and an alive? The difference it is the meat. What is an alive? An alive it's that we are seized at once by a mystery, an aura, the presence energy. Something which allows, something which has for function to make us forget the meat, to make us forget the heap, to make us forget the decay, to make us forget the decomposition, to make us forget the death. To throw us in a space of poetry, thought, dynamics, a space of action, a space of life.
To "kill somebody": what it means? It is to transform a human being into meat. It is to take the life and to neglect the meat.
The group of killers, which one I belonged, had for an unknown reason of me, a total and definitive aversion for corpses. This total and sick aversion had led the group to work out rites of extremely precise murders, for example that once the crime was committed, a brigade unknown by the killers was in charge to get back the corpse and to remove it. Our organization was based on the perfect crime, the perfect crime being the crime without corpse. The crime was distributed between killer and cleaner and there was never any contact enters both.
All the Mafioso groups don't work or didn't work on these modalities. Other groups made onto the crime show, making the presence of the corpse in the middle of the urban space one of the elements of the murder scenography. It was in no way the case in our organization, it was even the completely opposite idea that was defended, which was imposed --which was compulsory. Indeed it is because one day I choose to break this rule that the infernal machine imploded.